L’

entrepreneuriat est une solution de plus en plus populaire au sein des immigrants qui s’installent au Québec. Leurs études n’étant souvent pas reconnues ici, ils sont confrontés à une dure réalité : celle de recommencer leurs études ou travailler dans un emploi pour lequel ils sont surqualifiés. L’entrepreneuriat devient alors une porte de sortie intéressante.

Cette semaine, on discute avec une jeune diététicienne-nutritionniste française qui a dû refaire sa formation en tant que diététiste-nutritionniste, ici au Québec, pour finalement réussir à pratiquer. Un cheminement bien différent de la norme.

Débutant son parcours professionnel en France, Clémence Pouit décide de s’orienter vers les professions de la santé. Visant en premier lieu le métier de kinésiologue, elle se rive alors le nez à la porte fermée d’un programme trop contingenté. Loin de laisser un premier échec gâcher sa carrière, elle se tourne donc vers des études en nutrition.

Ainsi, à 19 ans, elle commence ses études en nutrition à l’Université de Bordeaux où elle découvre une réelle passion pour la profession de diététicienne-nutritionniste. Dans le cadre de ces études, elle réalise une année supplémentaire qui l’amène à découvrir la ville de Montréal. Consciente des difficultés qui se présenteraient dans le démarrage de son entreprise en France et vu son absence de contacts dans le domaine, Montréal représentait pour elle une opportunité de pratiquer à la hauteur de ses ambitions.

C’est ainsi que Clémence tombe en amour avec le Québec et vient s’y installer pour ouvrir son entreprise en nutrition. Seul problème, ses études en France ne sont pas reconnues par l’Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ) ni par l’Université de Montréal (UdeM). En conclusion, elle a dû refaire ses études en nutrition au Québec pour finalement devenir membre de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec et démarrer sa pratique privée.

Au cours de cet entrevue, nous découvrons son parcours qui démontre sa persévérance hors du commun et l’on discute de son expérience alors qu’elle se retrouve en plein lancement d’entreprise sur sa nouvelle terre d’accueil.

Clémence Pouit Dt.P.
Clémence Pouit Dt.P.Diététicienne-Nutritionniste
Clémence aux fraises, la Nutritionniste Gourmande
www.clemenceauxfraises.com

Bonjour Clémence, merci beaucoup de prendre le temps de discuter avec nous ! Peux-tu me raconter ton parcours jusqu’à présent ?

J’ai toujours voulu être mon propre patron. J’ai toujours eu un fort caractère et je ne me voyais pas passer ma carrière dans une organisation qui ne me permettait pas de m’exprimer ou de m’impliquer au-delà de mes tâches. Ça doit faire une dizaine d’années que je suis consciente de mon désir entrepreneurial.

Lorsque je suis arrivée pour ce que je croyais être définitif au Canada, je me suis vite rendu compte que rien n’était gagné à l’avance. À un moment donné, j’ai failli abandonner mon projet.  En plus du rejet de ma candidature par l’UdeM et le coût financier plus élevé que prévu, il fallait que je refasse trois années d’étude !

Cependant, ma famille m’a soutenue et m’a encouragée à continuer les démarches pour faire ma place dans le système scolaire. J’ai finalement réussi à rentrer au baccalauréat en nutrition à l’Université de Montréal.

À la suite de mes études, j’ai eu l’opportunité de travailler dans une entreprise privée en plein développement. La culture d’entreprise ne me ressemblait pas, et en plus, je n’avais pas accès aux conditions et avantages du public. C’est ainsi que j’ai réalisé que j’avais besoin de créer une entreprise à mon image et de gérer mes clients à ma manière.

C’est pourquoi, le 10 mai 2018, je donnais ma démission. La création de mon entreprise s’est d’ailleurs très bien passée. J’ai réussi à mettre sur pied mon plan d’affaires ainsi que mon plan de financement. La création d’une entreprise est beaucoup plus simple ici qu’en France. Je dispose de beaucoup plus d’autonomie et je peux démarrer les initiatives que je désire.

La culture française étant similaire en certains points à la culture québécoise, ces deux dernières sont assez différentes lorsque l’on parle du monde des affaires. Peux-tu nous parler des freins que tu as rencontrés face au lancement de ta pratique privée en France ?

Je dirais qu’il y avait deux obstacles importants pour moi en France. Premièrement, sur le point de vue légal, il n’existe pas d’ordre pour réglementer la profession des diététiciennes-nutritionnistes. Il existe là-bas une formation en nutrition que les médecins généralistes peuvent réaliser pour obtenir le titre de médecin-nutritionniste.

Ainsi, pour le client, sa consultation auprès du médecin-nutritionniste sera remboursée par le système de santé alors que ce même client n’aura pas de remboursement concernant sa consultation auprès d’une diététicienne-nutritionniste. De plus, la profession n’étant pas réglementée, toute personne peut offrir des services en lien avec l’alimentation (exemple : coach en nutrition proposant de la planification alimentaire, des conférences, suivi pour perte de poids…). Ce qui rend la prospection de clients beaucoup plus difficile et donc c’est très compliqué de pouvoir vivre de sa profession en pratique privée.

Deuxièmement, n’ayant pas de contacts dans le domaine médical en France, je ne pouvais pas me lancer aussi facilement que je le voulais. Les démarches administratives nécessaires pour démarrer son entreprise en France sont plus longues et compliquées qu’au Québec.

On dit souvent que le Québec est un territoire où il fait bon entreprendre, peux-tu nous expliquer ce qui t’a amené à choisir le Québec comme terre d’accueil pour assurer ta pratique privée ?

J’ai choisi mon université en France parce qu’elle offrait un an d’échange à l’Université de Montréal. En sachant que c’est au Canada que le métier de nutritionniste a vu le jour, je voulais absolument faire cette année d’échange au Québec.

À l’origine, je voyais cet échange comme un atout pour ma pratique en France. Toutefois, c’est après deux mois d’étude au Québec que j’ai constaté que le statut des diététistes-nutritionnistes était bien meilleur ici ! Les opportunités étaient beaucoup plus nombreuses et en plus, j’ai adoré vivre à Montréal.

Je n’avais plus le choix, il fallait que je fasse tout mon possible pour pouvoir rester au Québec de façon permanente !

Bien que le Québec soit un endroit où il fait globalement bon vivre à titre de professionnel, il est souvent difficile d’y faire reconnaître ses qualifications lorsque l’on a fait ses études dans des universités à l’extérieur du pays. Comment as-tu vécu le fait de devoir recommencer tes études lorsque tu es arrivée ici ? 

Ça a été difficile d’accepter que mes études en France ne fussent pas reconnues ici. J’ai appris, qu’un crédit universitaire européen équivalait à un demi-crédit nord-américain.

Après réflexion, j’ai fait ma demande pour intégrer le programme de nutrition à l’UdeM. Je me disais qu’avoir ce bagage universitaire m’aiderait pour mon immigration au Québec, et que s’il y avait des changements dans la reconnaissance face à la profession, je m’assurerais le même traitement que toutes les autres diététiste-nutritionnistes québécoises.

Bref, j’étais bien fière de postuler jusqu’à ce que je reçoive un avis de refus le lendemain même de la fermeture des candidatures. Raison étant que je n’avais supposément pas les prérequis nécessaires en mathématiques.

Cette décision a été très difficile à accepter pour moi. En fait, je ne l’ai jamais acceptée ! (Rires) Grâce au soutien de mes parents, j’ai rebondi face à cette situation et je me suis battue plus fort encore. J’ai fait appel à l’Ombudsman de Montréal, puisque je considérais que l’université n’avait pas évalué correctement mon dossier. Après l’envoi d’une lettre au recteur ainsi que la justification de mon recours, j’ai finalement été acceptée au programme de nutrition !

Venaient ensuite les demandes d’équivalence de mes cours suivis en France. L’UdeM a reconnu seulement 10% de ma formation française en plus des cours que j’avais suivis durant mon année d’échange, soit un total de 42 crédits sur 120. J’ai donc fait le reste du programme et obtenu mon diplôme en décembre 2017.

Tu me disais avoir réalisé tes stages dans le cadre de tes études au Québec au sein du réseau public de la santé. Peux-tu nous parler de ton expérience et de l’impact que cela a eu sur ton cheminement professionnel ?

Pour moi, mes stages m’ont permis de confirmer que j’adorais le milieu clinique.

Je dois avouer que je n’ai pas particulièrement apprécié mon stage en médecine générale à l’hôpital. Je passais mes journées à courir après des dossiers ou après les patients. J’ai constaté rapidement que la médecine était beaucoup plus curative que préventive et je n’aimais pas le fait de ne pas pouvoir faire de suivi auprès de mes patients.

Cependant, j’ai adoré mes stages en santé mentale auprès des enfants et en oncologie. Les patients étaient vraiment à l’écoute de nos conseils et je me sentais incluse dans le processus de soins. Malgré mon intérêt pour ce contexte, je m’ennuyais des rencontres individuelles.

Aujourd’hui, je suis installée à Verdun et je veux m’impliquer dans ma communauté. Je veux rencontrer des gens.

L’immigration et l’insertion socio-professionnelle vous intéressent?

Découvrez le témoignage de Déborah Lafont : Développer sa capacité d’adaptation pour réussir en affaires

Maintenant que tu es établie au Québec avec ton diplôme en poche, ton parcours au Québec a-t-il fait évoluer ta vision de l’entrepreneuriat ? Si oui, comment ?

Ma vision de l’entrepreneuriat a évolué de manière positive. J’ai été agréablement surprise par la facilité à créer mon entreprise au Québec. J’ai aussi été très chanceuse de rencontrer les bonnes personnes au bon moment pour avoir accès à différentes ressources.

J’ai l’impression que par l’entrepreneuriat, je gagne en pouvoir d’agir. Durant mes six ans d’études, au sein de deux universités différentes, j’ai pu rencontrer divers experts et construire une vision assez claire de ce que je voulais. De plus, depuis que je suis au Québec j’ai fait de magnifiques rencontres. Je pense que je vais dans la bonne direction.

En France, je me serais focalisée uniquement sur le conseil alors qu’ici, j’ai la possibilité de proposer beaucoup plus de services et de développer des produits.

Comment se passe ton lancement d’entreprise actuellement ? Quels sont tes principaux défis et comment réussis-tu à les surmonter ?

Pour l’instant, je dois dire que ça se passe très bien. Ma meilleure amie est dans le domaine de la création et de gestion d’entreprises. De plus, ma famille me soutient dans mes projets. Je me sens bien entourée !

Mon principal défi est en lien avec la visibilité de mes services. Pour l’instant, j’essaie d’en apprendre le plus possible via les différents sites web et blogs. J’ai aussi réalisé une séance de coaching avec une spécialiste des réseaux sociaux afin de mettre en place de bonnes stratégies. Je me suis aussi tournée vers une designer web pour optimiser le visuel et l’agencement de mon site Internet ainsi que de ma carte professionnelle.

Un de mes prochains défis sera de cibler ma clientèle. Je sais que je vais réussir à trouver ma niche. Pour l’instant, mon expertise est assez générale et je réalise que publier du contenu pertinent est ardu quand l’on n’a pas de segment de client bien défini. J’aime tout le monde, que veux-tu ! (Rires)

Pour terminer, pourrais-tu me donner ta définition du succès ?

Pour moi, le succès est d’avoir du plaisir dans ce que l’on fait. Évidemment, il faut pouvoir en vivre, c’est la base, mais l’important c’est d’être épanouie dans notre profession. Ce qui me nourrit, c’est la diversité des rencontres et le fait de transmettre mes connaissances.

Pour moi, le jour où je traînerai les pieds pour me rendre au travail et où je n’aurai plus le goût de développer mon expertise sera la journée où le changement s’imposera !

Merci pour ton temps Clémence ! Il ne me reste plus qu’à te souhaiter bon succès !

Clémence Pouit Dt.P.Diététicienne-Nutritionniste
Clémence aux fraises, la Nutritionniste Gourmande
www.clemenceauxfraises.com